• Un vaste trafic de reins démantelé près de Delhi

    Marie-France Calle, correspondante à New Delhi
    29/01/2008 | Extrait du FIGARO.fr
    «Lorsque je me suis réveillé, quelqu'un m'a dit que l'on m'avait prélevé un rein», explique Mohammed Salim, une victime du Dr Kumar.
    «Lorsque je me suis réveillé, quelqu'un m'a dit que l'on m'avait prélevé un rein», explique Mohammed Salim, une victime du Dr Kumar. Crédits photo : AFP

    En neuf ans, le Dr Kumar a pratiqué pas moins de 500 transplantations d'organes, prélevés sur de pauvres bougres au profit de riches étrangers.

    Avec sa Mercedes rouge, ses do­mestiques népalais peu loquaces et les allées et venues extrêmement louches de ses nombreux hôtes, le propriétaire de la résidence située à DLF D5/29, à Gurgaon, a toujours intrigué ses voisins. Mais aucun n'avait osé approcher la police. Le quartier est l'un des plus tran­quilles de cette vaste localité sans âme, devenue en quelques années une nouvelle Mecque de l'économie indienne, aux portes de Delhi.

    Depuis la semaine dernière, tout le monde est au courant, la discrète maison de trois étages du Dr Amit Kumar était la plaque tournante de l'un des plus gigantesques trafics d'organes du pays. Plus de 500 transplantations de reins y auraient été pratiquées en neuf ans.La demeure abritait des salles d'opération où le chirurgien retirait de temps à autre un rein à ­quelque pauvre type racolé par ses hommes de main, de préférence dans les campagnes éloignées. Là où les candidats au travail en ville ne manquent pas.

    Les rabatteurs leur promettaient la lune, tous y croyaient et acceptaient d'embarquer dans la luxueuse limousine équipée d'un minilaboratoire am­bulant. Effrayés, sans doute, de se voir infliger une prise de sang im­médiatement après être montés dans la voiture, les malheureux n'avaient plus le choix. Direction Gurgaon, où ils étaient maintenus au secret en attendant leur tour.

    Pour 910 euros environ

    Car le Dr Kumar était un homme organisé… et un bon médecin. Il choisissait ses «donneurs» en fonction de ses riches clients, dont nombre d'étrangers venus spécialement en Inde pour y recevoir un rein tout neuf. Il ne prélevait l'or­gane vital sur les pauvres bougres qu'il gardait dans son «vivier» que pour le réimplanter immédiatement, augmentant ainsi les chances de réussite de la greffe. Les malheureux n'étaient re­lâchés qu'après avoir rempli leur office. Allégés d'un rein, ayant à peine eu le temps de récupérer, ils repartaient avec, en poche, quelques milliers de roupies.

    Le Dr Kumar n'était pas un philanthrope. Financièrement, il s'y retrouvait largement, pratiquant une équation simple : 50 000 roupies (910 euros environ) pour un pauvre, en Inde, c'est une fortune ; 2 millions de roupies (36 000 euros environ) pour des étrangers ou de riches Indiens prêts à tout pour rester en vie, ce n'est presque rien.

    «Le 17 janvier, j'étais venu comme chaque jour à l'endroit où les employeurs potentiels viennent proposer des petits boulots à la journée, raconte Mohammed Salim, un habitant de Meerut, vaste agglomération située à une centaine de kilomètres au nord de Delhi. Un homme m'a abordé, me faisant une offre que je ne pouvais pas refuser. Il s'agissait d'un travail pour quatre mois à Delhi, où je devais être logé et nourri, avec un salaire de 150 roupies (moins de 3 euros) par jour.» «Je me suis retrouvé dans un en­droit inconnu, coupé du monde, poursuit-il. J'ai cru apercevoir des types de ma condition. Deux hommes armés veillaient à ce que nous ne nous échappions pas. Le 23 janvier, mon tour est venu. On m'a transporté dans une grande maison, où l'on m'a fait une piqûre. Je me suis endormi. Lorsque je me suis réveillé, j'ai ressenti une vive douleur dans le dos. C'est alors que quelqu'un m'a dit que l'on m'avait prélevé un rein. J'avais envie de vomir, j'étais extrêmement faible. J'ai su à ce moment-là que je ne pourrais plus jamais louer ma force de travail comme avant. Je n'avais qu'une envie, rentrer chez moi pour y retrouver mes enfants.»

    Complicités dans la police

    Des témoignages comme celui de Salim ne manquent pas. Ils ne doivent pas occulter une autre réalité. Dans «l'Inde qui brille», des ­milliers de volontaires sont prêts à vendre l'un de leurs reins, tout ­sim­plement pour ne pas crever de faim. Ils se recrutent sans pro­blème aux alentours des gares ferroviaires et autoroutières, dans les grandes métropoles comme Delhi, Bombay, Madras. «Ils se font opérer sans histoire et empochent avec reconnaissance les 40 000 ou 50 000 roupies qu'on leur jette en pâture», reconnaît un commissaire de po­lice à Delhi. Ouvrant la porte à une grave problématique : jusqu'où peut aller le fameux «tourisme médical» dont l'Inde se fait le champion ?

    Tant qu'il s'agit de vendre à des étrangers des implants dentaires ou des interventions chirurgicales à bas coût, le mal n'est pas bien grand. Il est même la fierté de ce pays, où abondent les médecins chevronnés. Mais lorsque l'on en vient au commerce d'organes prélevés sur des pauvres, se pose la question de l'éthique.

    Quant au Dr Kumar, il s'est en­fui, peut-être à Katmandou, la capitale népalaise. Il a l'habitude. Ce n'est pas la première fois qu'il est épinglé. En 1993, déjà, il avait été arrêté à Bombay pour trafic d'or­ganes. Il avait refait sa vie et repris ses affaires en divers en­droits du pays. Il posséderait au moins quatre passeports. À tel point que la presse indienne l'a surnommé «Dr Alias». Sa femme et ses enfants vivent au Canada. Mais s'il a réussi à s'enfuir, c'est parce qu'il bénéficiait de compli­cités à haut niveau, y compris au sein de la police, affirme-t-on ici.

    Reste qu'à Delhi, nombre de néphrologues réputés et d'hôpitaux ont de bonnes raisons d'être in­quiets. Le Dr Kumar ne pouvait pas travailler sans eux. Et il a laissé un carnet d'adresses bien rempli dans son ordinateur.